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samedi 25 janvier 2020

Quelle différence entre répartition et capitalisation ? (épisode 2, la question des risques)

Dans un précédent billet, nous avons vu la différence essentielle entre financement des retraites par répartition et par capitalisation. Nous avons vu que le "rendement" de la répartition était déterminé par la croissance de la population employée et par la croissance de la productivité du travail, alors que le rendement de la capitalisation est déterminé par le rendement des placements financiers. 

Mais, en pratique, quel est le rendement comparé de la répartition et de la capitalisation ? Et surtout, même si on parvient à montrer qu'un système offre un meilleur rendement, cela ne suffit pas pour qu'il soit choisi pour financer les retraites. En effet, la promesse d'un rendement n'est pas certaine : les systèmes par répartition et par capitalisation sont soumis à des risques, certains communs aux deux systèmes, d'autres spécifiques, et cette dimension du risque doit être prise en considération lors du choix d'un système de retraite.

1. En longue période, le rendement de la capitalisation est en moyenne supérieur au "rendement" de la répartition

Même si la crise financière amorcée en 2007 a ébranlé les certitudes, les études historiques montrent que le rendement réel des placements financiers est supérieur au taux de croissance économique sur très longue période, dans la majorité des pays développés. Cette idée a été popularisée par Thomas Piketty dans son ouvrage Le capital au XXIe siècle et résumée par une formule r > g (ce qui permet de fabriquer des jolis tee-shirts).

Plus précisément, le rendement réel des actions cotées en bourse (réel signifiant qu'on a ôté l'inflation) s'est élevé en moyenne à 6 % par an aux États-Unis sur la période 1900-2008, alors que la croissance réelle du PIB (c'est-à-dire la croissance de la production du pays) se situait en moyenne à 3 % par an sur la même période. Dans les pays européens, et notamment en France, cette sur-performance du rendement du capital sur la croissance économique est moins spectaculaire sur le très long terme, en raison des deux guerres mondiales.
Source : Garnier et Thesmar (2009, page 51)
2. Pour autant, pour les gens, ce n'est pas le rendement moyen du système en longue période qui importe, mais le montant de la rente viagère qu'ils pourront obtenir chaque mois lorsqu'ils seront à la retraite

Observer qu'en moyenne, chaque année, sur très longue période, le rendement du capital est supérieur à la croissance économique n'implique pas qu'il faille choisir la capitalisation pour couvrir le risque vieillesse. Et pour au moins trois raisons.

La première raison, c'est que pour un individu donné, ce n'est pas le rendement moyen du système en longue période qui importe, mais le montant de la rente viagère qu'il pourra obtenir chaque mois lorsqu'il sera à la retraite. Et c'est là qu'intervient la notion de risque d'un placement financier. Chacun peut constater que le cours d'une action cotée varie jour après jour. Cette variation peut être mesurée par des indicateurs statistiques, tels que la variance ou l'écart-type ; grosso modo, ces indicateurs mesurent de combien s'écarte le cours d'une action par rapport à sa tendance sur une période donnée. Ce qu'on peut montrer théoriquement, et ce qu'on observe dans les faits, c'est que plus une action est détenue pendant une période de temps longue, plus la variation de son rendement autour de la tendance moyenne se réduit.

Pour autant, cela ne signifie pas que détenir des actions pendant une longue période, par exemple jusqu'à la retraite, ne soit pas risqué. En effet, pour quelqu'un qui souhaite financer sa retraite par un placement financier, ce qui importe, ce n'est pas le rendement annuel moyen de son placement sur 30 ans, mais bien le rendement total qu'il obtiendra au bout de 30 ans quand il partira à la retraite. Et il est possible que le rendement annuel moyen sur 29 ans soit favorable, mais qu'il soit anéanti par un krach boursier l'année suivante.

La deuxième raison, c'est que les rendements des actions tels qu'ils peuvent être calculés à partir des cotes officielles sont bruts de frais. En pratique, si on souhaite financer sa retraite par capitalisation, on doit utiliser les services d'un intermédiaire (fonds de pension, gestionnaire d'actifs, banque, entreprise d'assurance) et ces services sont facturés. Pour un individu donné, le rendement des actions doit s'apprécier "net de frais". Or, ces frais peuvent s'avérer élevés lorsque la concurrence entre les intermédiaires est faible.

La troisième raison, c'est qu'à la base, financer sa retraite, c'est se couvrir contre les risques liés à la vieillesse (être dans l'incapacité physique ou mentale de travailler à âge élevé et ignorer combien de temps on passera à la retraite). Dans cette optique, il serait paradoxal de couvrir un risque (le risque vieillesse) en en prenant un autre (le risque financier). Cet argument ne suffit pas à disqualifier la capitalisation comme on le verra dans le point 4. Mais avant, il importe de voir que la répartition n'est pas exempte, elle aussi, de risques.

3. Le rendement de la répartition est affecté par des risques démographiques, économiques et politiques

Toutes choses égales par ailleurs (notamment si la productivité du travail est inchangée), l'augmentation du nombre de retraités par rapport au nombre de cotisants dégrade la situation financière d'un système en répartition. Cette augmentation peut avoir plusieurs origines : l'allongement de l'espérance de vie qui est un choc démographique durable qui accroît le nombre de retraités (on parle de vieillissement "par le haut" de la population) ; symétriquement, la baisse du taux de fécondité réduit le nombre des cotisants après quelques décennies (on parle de "vieillissement par le bas" de la population). D'autres chocs sont transitoires, par exemple le baby boom d'après guerre qui a entraîné une très forte augmentation des naissances pendant un temps limité (en gros entre 1945 et 1970). Les chocs durables peuvent être absorbés par des modifications "paramétriques" du système (modification du taux de cotisation, du taux de remplacement ou de l'âge de départ à la retraite) alors que les chocs transitoires, comme un baby boom, peuvent être absorbés par une accumulation de réserves dans le système par répartition lorsque les boomers sont actifs, utilisées lorsque les boomers arrivent à la retraite.

Du côté des risques économiques, on a vu que le ralentissement des progrès de productivité du travail (et a fortiori la baisse de cette productivité) réduit le rendement de la répartition : un choc de productivité a un impact analogue à un choc démographique. L'inflation est autre risque si les paramètres du système, notamment l'indexation des salaires portés au compte des assurés (ce qui permet de calculer le salaire moyen des 25 meilleures années au régime général) et les pensions des retraités, ne s'ajustent que partiellement, ou avec retard.

Enfin, parce que la répartition instaure une solidarité entre générations sur la base d'une réciprocité indirecte entre des générations passées, présentes et futures, elle est exposée à un risque politique. J'accepte de cotiser pour les générations qui m'ont précédées (les retraités actuels) parce que je sais, ou j'anticipe, que les générations futures feront de même pour moi. Cette confiance est de même nature que la confiance dans la monnaie : j'accepte ce bout de papier de 20 euros qu'on me donne en règlement d'un achat (alors même que je sais que ce bout de papier ne "vaut" intrinsèquement que quelques centimes), parce que je sais que je pourrai faire pareil lorsque je devrai payer à mon tour. Comme pour la monnaie (qui oblige mon vendeur à accepter le billet de 20 euros), la confiance dans le système par répartition est garantie par l'État qui oblige les personnes à cotiser. La confiance en la répartition est étroitement liée à la confiance qu'on accorde à l'État qui repose, en définitive, sur sa capacité à mutualiser des risques de toutes natures : démographiques (taille et durée de vie des générations...), économiques (emploi, salaires, taux d'intérêt...) et politiques (guerres...).

4. Le rendement de capitalisation est soumis à des risques financiers, mais également à des risques démographiques et politiques

On comprend que la capitalisation est exposée aux fluctuations des marchés financiers, et notamment aux risques de baisse brutale des cours des actions. On pourrait objecter que les krachs boursiers sont des événements rares ; mais encore une fois, pour un individu donné, si ce risque rare se réalise, c'est sa survie à la retraite qui est en jeu s'il finance sa couverture vieillesse par de l'épargne retraite placée en actions.

Pour autant, même l'existence de risques financiers (c'est-à-dire le risque de perdre une partie des sommes qu'on place en épargne retraite) ne suffit pas à disqualifier la capitalisation. En effet, il existe des techniques financières qui permettent de se couvrir contre ces risques financiers. C'est notamment le cas des fonds de pension à prestations définies qui s'engagent à verser des prestations de retraite d'un montant prédéterminé, par exemple un pourcentage du dernier salaire d'activité, ou de la moyenne des salaires perçus pendant la vie active, quel que soit le rendement financier des sommes placées en bourse. Bien évidemment, pour pouvoir garantir un taux de remplacement quelles que soient les fluctuations en bourse, il faut que "quelqu'un" assume le risque financier, c'est-à-dire recapitalise le fonds de pension en cas de pertes sur les marchés. Et ce quelqu'un, c'est l'employeur qui a créé le fonds de pension pour ses salariés. Par exemple, aux Pays-Bas, 90 % des travailleurs sont couverts par des fonds de pension à prestations définies (il n'existe pas d'obligation légale de créer des fonds de pension, mais des obligations qui découlent d'accords de branches ou d'entreprises).

On lit parfois que la capitalisation, à la différence de la répartition, est protégée contre les risques démographiques. C'est inexact sauf cas très particulier où les machines seraient parfaitement substituables aux humains. Imaginons par exemple une réduction durable de la fécondité, qui entraînerait moins de naissances, puis une vingtaine d'années plus tard, moins d'actifs. Dans ce cas, comme les travailleurs deviennent plus rares, les salaires augmentent. Et comme le stock de capital devient relativement plus abondant par rapport au nombre de travailleurs employés, son rendement baisse et la capitalisation devient moins rentable. Pareil pour l'augmentation de l'espérance de vie : qu'on soit en répartition ou en capitalisation, un allongement de l'espérance de vie implique qu'on prélève plus sur la richesse produite chaque année pour financer la retraite des retraités (sous la forme de cotisation ou d'épargne supplémentaire) à niveau de vie des retraités inchangé, ou qu'on réduise les retraites à effort de financement inchangé.

À ceux qui doutent de la capacité de l'État à pérenniser la répartition parce que les jeunes générations n'auraient plus confiance dans le système et ne voudraient plus cotiser, on peut opposer pour la capitalisation, la capacité de l'État à préserver les droits des actionnaires. Au bout du compte, qu'on soit en répartition ou en capitalisation, c'est la confiance dans la capacité de l'État à faire respecter les règles de droit qui est au coeur des transferts de richesse, entre générations (répartition) ou au cours du temps (capitalisation).



d_phi retraites #9

1 commentaire:

  1. Ce site est une contribution majeure en matière de pédagogie des transferts entre générations. Cette ressource devrait être une référence tant pour les étudiants que pour l’honnête homme au sens de de Blaise Pascal.

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