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vendredi 20 décembre 2019

42 régimes, vraiment ?


Parmi les objectifs de la réforme annoncée du système de retraite français, figure l'ambition d'un système universel. Selon les termes même du Premier Ministre : "Le premier principe, c’est l’universalité.[...] Universel, ça veut dire pour tout le monde. Pour le plombier ou l’informaticien, l’agriculteur ou le douanier, pour le chercheur ou l’écrivain, pour le député ou le conducteur de train. Pour tout le monde. Sans exception.[...] Et puis, il y a les régimes spéciaux. La mise en place d’un système universel implique la suppression des 42 régimes existants, dont les régimes spéciaux.[...]"

(je n'aurais pas l'outrecuidance de commenter les propos du Premier Ministre, parce qu'il m'offre le gite pour travailler, mais il aurait un tantinet féminisé les professions que cela ne m'aurait pas déplu. Mais surtout...) 

42 régimes, vraiment ?

1. Petit détour sur l'architecture des systèmes de retraite... 

Lorsqu'on compare les systèmes de retraite dans le monde, on les représente souvent comme des maisons à plusieurs étages (à l'OCDE, on parle de "piliers", mais au Conseil d'orientation des retraites, on préfère les étages, probablement parce qu'une maison tient debout, quel que soit le nombre d'étages et même si les étages n'ont pas la même hauteur sous plafond, tandis qu'un temple avec les piliers de hauteur différente, comment dire...). Chaque étage est censé apporter une source de revenu aux retraités.

Au rez-de-chaussée, on a les dispositifs de pension minimum. Le premier étage concerne la retraite de base obligatoire. Au deuxième étage, on trouve les dispositifs de retraite complémentaire, le plus souvent organisés sur une base professionnelle. Et au troisième étage, on a l'épargne individuelle volontaire. Enfin, on peut aussi avoir un petit cabanon à côté de la maison : c'est le minimum vieillesse qui est indépendant du système de retraite (c'est-à-dire que c'est une allocation versée sans contrepartie de cotisation à des personnes qui n'ont pas, ou peu, cotisé au système de retraite). 

Toutes les "maisons retraite" ne se ressemblent pas. Dans certains pays, la maison est construite sur pilotis : il n'existe pas de pension minimum (comme en Allemagne). Parfois, le deuxième étage est obligatoire (comme en France, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, mais pas aux États-Unis). En Italie, la hauteur sous plafond de l'étage de base est impressionnante par rapport au deuxième étage...

2. La "maison retraite" en France

La particularité de la "maison retraite" en France est... qu'il y a plusieurs maisons ! Il y a la maison pour les salariés du secteur privé, des maisons pour les fonctionnaires et les salariés d'entreprises publiques, et des maisons pour les professions indépendantes (artisans, commerçants, professions libérales).

La caractéristique commune de toutes ces maisons, par rapport aux maisons à l'étranger, c'est que le deuxième étage (les retraites professionnelles) est financé en répartition, alors que dans tous les autres pays du monde, les retraites professionnelles sont financées en capitalisation. 

La grande différence entre la maison des salariés du privé et des indépendants d'une part, et des fonctionnaires et assimilés d'autre part, c'est que le premier et le deuxième étage sont fusionnés pour les fonctionnaires et assimilés : on parle de régime intégré. 

3. Système de retraite et régimes de retraite

Dans le premier billet, on a défini le système de retraite comme : 1. un ensemble d'organismes, publics ou privés, chargés de collecter des cotisations auprès des personnes qui travaillent et de verser des pensions aux retraités ; 2. les règles définissant les conditions dans lesquelles les personnes qui cotisent ont droit à une pension et les règles de calcul de cette pension.

Un système de retraite est donc un ensemble de régimes de retraites. Dans certains pays, le régime de base (premier étage) est universel et les régimes professionnels sont différenciés ; c'est le cas aux Pays-Bas, en Suède, aux États-Unis ou au Japon par exemple. Dans d'autre pays (comme en Belgique), les régimes de base sont différenciés par grandes catégories : salariés du privés, salariés du public et indépendants. En France... c'est compliqué :

Source : Jaune Pensions 2019, page 6

4. Et alors, 42 régimes en France ?

(oui, parce qu'il faut bien en venir à la question posée... mais ça va être long...)

On dispose d'un document appelé familièrement (enfin, dans le tout petit cénacle des spécialistes de finances publiques) le Jaune Pensions qui liste "42 situations professionnelles distinctes en termes de retraite". On tiendrait donc nos 42 régimes...

Mais c'est là que ça s'obscurcit un peu : "Les trois régimes spéciaux de la fonction publique (régime de la Fonction Publique d'État, régime des ouvriers d’État et régime de la CNRACL) s’insèrent dans un ensemble plus vaste de 11 régimes spéciaux de retraite, dont la plupart bénéficient d’un financement de l’État. Plus largement, le système de retraite comprend 26 régimes de retraite de base (dont 21 régimes de base dit « complets » ou « intégrés » car non associés à un régime complémentaire), 17 régimes de retraite complémentaire et 3 régimes de retraite additionnels (dont le RAFP). Au total, il existe 42 situations professionnelles distinctes en termes d’affiliation à des régimes de retraite." (Jaune Pensions, 2020, page 20).

Donc, je calcule : 26+17+3 = ... 46 !

Alors, on va compter ensemble et énumérer les régimes de retraite obligatoires :
  • 4 régimes de base
- régime général des travailleurs salariés des secteurs non agricoles, qui a fusionné avec le régime de base des indépendants (SSI) en 2018, géré par la CNAV
- régime de base des salariés agricoles et des non-salariés agricoles, gérés par la mutualité sociale agricole (MSA)
- régime de base de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL)
- régime de base de la caisse nationale des barreaux français (CNBF) (oui, les avocats n'ont pas voulu intégrer la CNAVPL...)
  • 16 régimes complémentaires 
- régime complémentaire des salariés du secteur privé (AGIRC-ARRCO ; l'AGIRC, auparavant régime complémentaire des cadres, et l'ARRCO, auparavant régime complémentaire de l'ensemble des salariés, ont fusionné en 2019)
- régime complémentaire des contractuels de la fonction publique (IRCANTEC)
- régime complémentaire des artistes-auteurs (IRCEC)
- régime complémentaire des personnels-navigants professionnels de l'aéronautique civile (CPRNAC)
- régime complémentaire des non-salariés agricoles (RCO)
- régime complémentaire des travailleurs indépendants (RCI)
- régime complémentaire des notaires (CPRN)
- régime complémentaire des officiers ministériels (CAVOM)
- régime complémentaire des médecins (CARMF)
- régime complémentaire des dentistes et des sages-femmes (CARCDSF) (oui les dentistes et les sages-femmes, c'est pareil, mais c'est différent des médecins...)
- régime complémentaire en répartition des pharmaciens (CAVP)
- régime complémentaire des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (CARPIMKO)
- régime complémentaire des agents d'assurance (CAVAMAC) - attention au piège, ne pas confondre avec la CAVIMAC
- régime complémentaire des experts comptables (CAVEC)
- régime complémentaire des architectes et des professions libérales diverses (CIPAV)
- régimes complémentaire des avocats (CNAV)
  • 11 régimes spéciaux (intégrant base et complémentaire, bénéficiant de contributions et de subventions de l'État)
- régime des fonctionnaires civils et des militaires de l’État (SRE)
- régime des agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière, ou régime de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL)
- régime des ouvriers d’État (FSPOEIE)
- régime de la Banque de France
- régime de la RATP
- régime de la SNCF
- régime des industries électriques et gazières (CNIEG)
- régime de l'Opéra de Paris
- régime de la Comédie Française
- régime des mineurs (CANSSM)
- régime des marins (ENIM)
  • 8 régimes autonomes (intégrés, financés par les seules cotisations des affiliés)
- régime de retraite des clercs et employés de notaires (CRPCEN)
- régime des ministre des cultes (CAVIMAC)
- régime des députés
- régime des sénateurs
- régime des élus du CESE
- régime des agents de l'Assemblée nationale
- régime des agents du Sénat
- régime des salariés du Port autonome de Strasbourg
  • 3 régimes de retraite additionnels (ni de base, ni complémentaire ; un balcon au deuxième étage, en quelque sorte...)
- régime additionnel de la fonction publique, géré en capitalisation (RAFP)
- régime temporaire de retraite des maîtres des établissements d'enseignement privé (RETREP)
- régime d'allocation viagère des gérants de débits de tabac (RAVGDT)

Ce qui nous fait : 11+4+16+8+3 = ... roulement de tambour...  42 !

Conclusion : il existe bien 42 régimes de retraite ouverts (c'est-à-dire pour lesquels il existe encore des cotisants) en France, mais pas parce que 26+17+3 = 42... Et parce qu'on a pris en compte le RETREP qui est plus un régime de pré-retraite temporaire, qu'un régime de retraite proprement dit. Sinon, cela ne fait que 41. Et c'est déjà beaucoup, par rapport aux autres pays.


d_phi retraites #3

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