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mardi 24 décembre 2019

Un point, c'est tout ?


"Annuités" et "points" sont deux techniques de calcul des droits à pension. Le régime de base des salariés du secteur privé, ainsi que les régimes spéciaux, utilisent la technique des annuités, tandis que le régime complémentaire Agirc-Arrco utilise la technique des points.

Ce billet se propose de décrire les deux techniques (un peu longuement, je le concède...) et de revenir sur certaines affirmations erronées, notamment lorsqu'est présentée la réforme du gouvernement.

1. Le régime de base des salariés du privé et les régimes spéciaux  utilisent la technique des annuités pour calculer la pension

Dans un régime en annuités, le montant annuel de la pension à la date de liquidation (c'est-à-dire le jour on décide de faire valoir ses droits à la retraite pour percevoir sa première pension) est le produit de  trois termes : la durée de carrière, le taux d’annuité et le salaire de référence. Chaque année d'affiliation au régime "rapporte" un pourcentage du salaire de référence ; ce pourcentage est le taux d'annuité.

L’engagement d’un régime en annuités s’inscrit dans une logique de « prestations définies » : le régime s'engage sur un taux de remplacement, c'est-à-dire que la pension à la liquidation représente une certaine fraction du salaire d'activité. On parle aussi de régime rétributif parce que la pension "rétribue" une carrière, à la différence d'un régime contributif dans lequel la pension dépend d'un montant de cotisations, comme c'est le cas dans les régimes en points.

Détaillons les termes nécessaires au calcul de la pension dans un régime en annuités.
  • Le salaire de référence
Dans le régime général des salariés du privé, le salaire de référence est la moyenne des 25 années meilleures années de salaires pour les générations nées à partir de 1948.

Ensuite, ce n'est pas la totalité du salaire brut annuel qui est pris en compte, mais la partie inférieure au plafond de sécurité sociale. Le plafond est fixé tous les ans par arrêté ministériel : pour l'année 2020, il s'élève à 41 136€ par an. Concrètement, cela signifie que si vous gagnez 43 000€ en 2020, votre pension ne sera calculée que sur 41 136€ et donc, vous n'aurez aucun droit à pension sur 43 000-41 136=1 864€ au régime général.

Enfin, 30 000€ gagnés en 2010 ne valent pas la même chose, en termes de pouvoir d'achat, que 30 000€ gagnés en 2020. L'idée est analogue à un taux de change entre devises : 500€ ne valent pas la même chose que 500$. Sauf que là, il faut un "taux de change au cours du temps", c'est-à-dire ramener à une valeur commune des salaires perçus à des périodes très différentes (on peut même penser aux salaires perçus en francs, il y a trente ans). On parle de "revalorisation" des salaires passés, pour les ramener à une valeur d'aujourd'hui. Sauf qu'à la différence des taux de change qu'on peut connaître en consultant une cote officielle sur le marché des devises, il n'y a pas une "cote officielle" des euros au cours du temps. Depuis 1987, les salaires portés au compte des assurés (c'est-à-dire la série des salaires que les registres de la CNAV conservent pour chaque assuré) sont revalorisés selon l'évolution de l'indice des prix à la consommation hors tabac.

Dans le régime de la fonction publique (et dans bon nombre de régimes spéciaux), le salaire de référence est le traitement indiciaire, hors primes, du dernier emploi occupé durant au moins six mois. Il n'y a pas de plafond dans la fonction publique, ni bien sûr de revalorisation.

Par rapport aux autres pays développés, la France est l'un des rares pays à ne pas prendre en compte la totalité de la carrière pour le calcul du salaire de référence. Et dans certains pays, la revalorisation se fait, non pas sur l'évolution des prix, mais sur l'évolution du salaire moyen de l'économie. Un billet spécifique sera consacré à la question de la revalorisation des droits à retraite et à l'indexation des pensions, parce que c'est une question cruciale pour comprendre pourquoi le système de retraite actuel conduit, s'il n'est pas réformé d'une manière ou d'une autre, à un décrochage du niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs.
  • La durée de carrière
Dans le régime de base des salariés du privé, la durée de carrière, appelée aussi durée d’assurance, est calculée, non pas en comptant le nombre de trimestres validés comme on pourrait le penser intuitivement (puisqu'on vous demande de valider 144 trimestres pour avoir votre retraite à taux plein, par exemple) mais à partir du montant de la rémunération perçue au cours de l’année. [Edit après commentaire] Toute tranche de rémunération égale à 150h de SMIC sous plafond permet de valider un trimestre, dans la limite de 4 trimestres par an. Par exemple, si vous travaillez pendant 2 mois par an et que vous gagnez 6 090 euros bruts dans ces deux mois, vous validez 4 trimestres : 10,15 (smic horaire)*150 (nombre d'heures)*4 (trimestres)=6 090 euros.

Dans le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, la durée d'assurance est calculée en trimestres effectivement prestés. Les fonctionnaires doivent avoir accompli au moins deux années de services effectifs pour prétendre à une pension publique.

La durée d'assurance joue un rôle crucial dans les régimes en annuités car elle détermine si l'assuré peut liquider sa pension au taux plein, ou s'il la liquide avec une décote lorsque cette durée est insuffisante (ou une surcote au delà de la durée requise pour le taux plein).
  • Le taux d'annuité et le taux de liquidation
Le taux de liquidation d'une pension correspond au taux d’annuité multiplié par la durée de carrière.

Jusqu’en 2003, le taux d’annuité valait 1,33 % au régime général et 2 % dans le régime de la fonction publique, pour une durée d'assurance de 37,5 années requise pour obtenir le taux plein. Autrement dit, on multipliait 1,33% par 37,5 (précisément 4/3 par 37,5) dans le régime général, et 2% par 37,5 dans le régime des fonctionnaires, et on obtenait un taux de liquidation de 50% pour les salariés du privé et 75% pour les fonctionnaires qui correspond au taux plein.

Aujourd'hui, le taux plein de liquidation au régime général est toujours 50%. Il est obtenu si une des conditions suivantes est satisfaite :
- la durée d’assurance tous régimes est au moins égale à la durée d’assurance requise pour chaque génération (la génération 1958 qui a 62 ans en 2020 pourra partir au taux plein si elle justifie de 167 trimestres d'assurance) ; on parle de "taux plein par la durée" ;
- ou l’âge à la liquidation est égal à 67 ans ou plus (indépendamment de la durée d'assurance) ; on parle de "taux plein par l'âge" ;
- ou l’assuré avait le statut d’invalide jusqu’à la veille de ses 62 ans ;
- ou il est jugé dans l’incapacité de travailler.

Si l’assuré ne remplit aucune de ces quatre conditions, le taux de liquidation est réduit par une décote de 1,25 % par trimestre manquant pour atteindre le taux plein, dans la limite maximum de 20 trimestres. Lorsque l’assuré prolonge son activité après 62 ans et au-delà de la durée d’assurance requise pour une pension au taux plein, le taux de liquidation est majoré par une surcote de 1,25 % par trimestre additionnel, sans limite.

Dans la fonction publique, le taux de liquidation maximal est de 75 %. Les conditions d'âge et de durée d'assurance pour obtenir le taux plein sont les mêmes que pour les salariés du privé (avec des dispositions particulières pour les fonctionnaires relevant des catégories dites actives). Les taux de décote et de surcote sont également identiques.

2. Le régime complémentaire des salariés du privé utilise la technique des points pour calculer la pension

Dans un régime en points, les pensions découlent explicitement des cotisations au régime durant la période d’activité. Chaque année, l’assuré acquiert, par ses cotisations et celles de son employeur, des droits à retraite sous forme de points qui vont se cumuler tout au long de la carrière. La contrepartie monétaire de ces droits acquis ne sera connue de l’assuré qu’à la date de liquidation. On dit que les régimes en points sont contributifs, ou à cotisations définies.
  • Comment se détermine le nombre de points acquis par l'assuré ?
De manière générale, le nombre de points acquis une année par un assuré est égal au rapport entre la cotisation versée (par lui et son employeur) et la valeur d’achat du point. La cotisation est le produit entre le taux de cotisation et le salaire brut. Le salaire soumis à cotisation peut être le salaire complet, le salaire plafonné ou une tranche de salaire comprise entre deux niveaux définis. 

À l'Agirc-Arrco, il existe deux tranches de cotisations, une tranche 1 sous le plafond de sécurité sociale (le même que plus haut) et une tranche 2 entre un plafond et huit plafonds (soit 329 088€ en 2020). Sur la tranche 1, le taux cotisation est 6,20% et sur la tranche 2 de 17% ; ce sont ces taux qui ouvrent des droits. Parce qu'en plus de ces taux contractuels, il existe un taux d'appel de 127%, ce qui signifie concrètement que les taux contractuels sont majorés de 27%, sans que ces 27% ouvrent des droits à pension ; ils servent juste à financer le régime, globalement. 

La valeur d'achat du point est un paramètre fixé par le conseil d'administration de l'Agirc-Arrco (ce conseil réunit les partenaires sociaux selon une représentation paritaire des syndicats de travailleurs et des organismes d'employeurs). À compter de janvier 2020, la valeur d'achat du point (appelée aussi salaire de référence) est fixée à 17,0571 euros. Jusqu'en 2021 inclus, en vertu de l'accord Agirc-Arrco du 17 novembre 2017, la valeur d'achat est indexée sur l'évolution du salaire moyen des affiliés au régime.

Au moment de la liquidation, le nombre de points acquis par l'assuré est égal à la somme des points perçus chaque année.
  • Comment se détermine le montant de la pension à la liquidation ?
Au moment de la liquidation, la pension est égale au nombre de points accumulés par l'assuré que multiplie la valeur de service du point. Comme la valeur d'achat, la valeur de service est un paramètre fixé par le régime : l'accord Agirc-Arrco de novembre 2017 dispose que cette valeur de service est revalorisée sur l'évolution du salaire moyen des affiliés au régime jusqu'en 2021. Autrement dit, en vertu de cet accord, les valeurs d'achat et de service évoluent de la même manière.

En définissant le rendement instantané d'un régime comme le rapport entre la valeur de service et la valeur d'achat  du point (combien j'ai d'euros de pension pour un euro cotisé, ce qui correspond bien à un rendement), on comprend que si la valeur de service et la valeur d'achat sont indexées sur le même indicateur (le salaire moyen des affiliés), alors le rendement du régime est constant.

3. Quelques idées fausses sur les points (qui feront l'objet de développements ultérieurs, ce billet est déjà tellement long...)

Idée fausse n° 1 : les points, c'est de la capitalisation. Non, les points, ce n'est qu'une technique de calcul des droits, dans un système financé en répartition.

Idée fausse n° 2 : avec les points, on n'a pas de garantie, alors qu'avec les annuités, l'engagement du régime est connu. Il est vrai qu'avec les points Agirc-Arrco, on ne connait sa pension qu'au moment de la liquidation, puisque la valeur de service de point est déterminée année après année, par le conseil d'administration du régime. Mais d'une part, il n'y a pas de fatalité à ce qu'un régime en points définisse la valeur du point de manière discrétionnaire. On peut très bien imaginer que le conseil d'administration définisse une trajectoire de la valeur de point, par exemple pour 5 ans, de sorte que chaque assuré à 5 ans de sa liquidation connaisse la valeur du point qui prévaudra lorsqu'il liquidera ses droits à retraite. D'autre part, dans un régime en annuités, on connait la formule de calcul ; mais qui peut savoir, à 5 ans de sa retraite, quelle est la moyenne de ses 25 meilleures années ? Et surtout, on postule que le taux plein est fixé inconditionnellement à 50%. Mais quelle garantie a-t-on que ce taux ne sera pas baissé pour équilibrer le régime (même si cette option n'a jamais été envisagée, on ne peut théoriquement l'exclure).

Idée fausse n°3 : les points, c'est injuste, car cela prend en compte la totalité de la carrière, alors que les annuités c'est juste, car cela prend les 25 meilleures années. Il est vrai que prendre les 25 meilleures années de salaire plutôt que la totalité de la carrière, conduit à une pension plus élevée. Mais on pourrait très bien imaginer que le calcul en annuités prenne en compte la totalité de la carrière. Et surtout, si la prise en compte de la totalité de la carrière pénalise tout le monde par rapport aux 25 meilleures années, cette pénalisation est plus forte pour les assurés qui ont des carrières ascendantes, c'est-à-dire qui commencent bas dans l'échelle des salaires pour arriver en haut. En effet, les 25 meilleures sont alors en fin de carrière et "pèsent" plus dans le calcul de la pension. Pour une personne qui ferait toute sa carrière au SMIC, qu'on prenne les 25 meilleures années ou toute la carrière, le résultat est le même. Donc, il est faux que dire que les annuités, c'est plus juste que les points. Tout dépend de la manière dont on fixe les paramètres dans chaque technique de calcul de la pension.



Pour aller plus loin :
Le mode de fonctionnement des régimes en annuités, document de séance du COR du 14 février 2018.
Le mode de fonctionnement des régimes en points, document de séance du COR du 14 février 2018.

d_phi retraites #4

1 commentaire:

  1. Un détail,l à moins que ça ait changé récemment, il me semble qu'on ne peut pas valider 4 trimestres en un mois: pour un mois donné, l'assurance retraite ne retiendra que la partie sous le plafond mensuel de la Sécu (autour de 3400€ il me semble). Donc il faut travailler au moins deux mois pour valider ses 4 trimestres.

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